Oui, c’est mal fait. Et alors ?
La vie est mal faite, tout est bricolé, nos êtres, notre culture, nos croyances. Rien n’est vrai, rien n’est parfait. Qu’est-ce que ça veut dire mal fait ? Ça ne veut rien dire ! C’est pas droit ? C’est pas lisse ? Ça dépasse ? Qui juge de si c’est bien ou pas ? Pourquoi faudrait-il que tout ressemble à l’ouvrage d’un sur-être, d’une machine, qu’est-ce que ça apporte ? Qu’est-ce que ça emporte ?
La perfection nous bouffe, elle est une fausse marque de réussite. Elle est simplement l’aveu d’un renoncement à l’humanité. Chercher la perfection, la négation du défaut, l’ouvrage irréprochable, c’est nier que nous sommes nous même le fruit d’erreurs innombrables. Nous ne sommes qu’une étape du grand bricolage universel. Notre naissance, notre éducation, notre chemin d’adulte, qui saurait s’enorgueillir d’avoir été parfait ? Quel menteur croirait sa propre histoire, la fable du tout impeccable ?
Laissons nous séduire, transporter par la richesse du mal foutu. Si rien ne dépasse, si rien n’accroche, tout glisse et passe, que resterait-il à voir ou percevoir ? N’est-ce pas le travers, le pas droit, le tordu qui nous ramène à la vie ? Tout ce que notre culture a voulu effacer et que nous allons chercher à prix d’or chez nos ancêtres, chez nos semblables qui échappent encore pour un temps à la norme. Nous normons pour nous rassurer, nous assurer que rien ne nous surprendra, pour ignorer le grand bricolage, affirmer notre maîtrise totale et définitive. Puis nous recherchons désespérément les traces d’un passé pré-standard qui nous insuffle l’énergie du mal foutu. Du fait main ! Tu te rends compte, du fait main ! Comme c’est beau !
Pourtant la perfection faite main ne laisse pas indifférent. Des robots se cacheraient-ils parmi nous ? Comment est-ce possible ? Nous ouvrent-ils une porte vers le divin ? J’admire la perfection, je ne l’envie pas. Tant de temps et d’énergie passés à la recherche d’un absolu, l’illusion que nous approchons l’immensité d’un chêne millénaire, la grâce fascinante d’une baleine ondulant entre deux eaux. Et quand bien même nous l’atteignons, avons nous vécu ? Qu’avons nous vécu ? Une vie de travail pour nous prouver que nous pouvons dépasser notre condition de mortel imparfait. Et ? Avons nous dans cette quête vécu notre vie d’humain, mourrons nous avec le sentiment d’avoir été heureux, d’avoir rendu heureux ? Pourtant notre vie avait-elle de l’importance en comparaison de la grandeur de l’œuvre que nous léguons ? Combien de générations continueront de voir en notre ouvrage une preuve lumineuse de l’existence d’un absolu, du divin.
Et combien croiront que cette quête ne peut être la leur, parce que comme pour la plupart, leur éducation n’a été qu’un bricolage, inspiré de bricolages ancestraux. Nous admirons. Envions. Adulons. Croyons. Pas un geste. Pas un risque. Ne pas faire si ce n’est pas parfait. Ne surtout pas faire. Surtout si nous voulons vivre heureux. Contentons nous de nous nourrir de la perfection des autres. De celles et ceux qui « savent faire ». Mais qui sont-ils pour savoir faire, pourquoi elles, pourquoi eux, pourquoi pas moi ?
Bougez-vous, mortels ! Faites, essayez, tentez, goûtez la joie du « faire », de l’imperfection. Créez, sortez de votre camisole, chantez, écrivez, lancez-vous dans l’inconnu, c’est la seule chose que vous puissiez faire pour vivre intensément. Balancez vos télés, vos écrans, vos applis, ne croyez plus ce dont on vous gave, sortez et confrontez vous au vrai monde, aux vrais humains, il n’y a pas de limite, pas de bonne ou de mauvaise réponse. Cessez d’alimenter ceux qui ont besoin de votre temps de cerveau et de votre insécurité pour vendre votre pouvoir d’achat. Votre pouvoir n’est pas à vendre. Vos achats ne vous donnent que l’illusion d’une vie à peine décente. C’est le grand siphonage !
Réveillez-vous ! Émerveillez-vous ! Émerveillez-nous !